Mal-être en agriculture Comment rester pilote de son exploitation
La perte d’autonomie sur son exploitation figure parmi les principales causes des situations de détresse en agriculture, souligne une étude menée par Philippe Spoljar, psychologue clinicien et enseignant chercheur à l’Université de Picardie, auprès de l’association Solidarité Paysans.
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L’endettement et la surcharge de travail apparaissent le plus souvent comme les deux parties émergées de l’iceberg en cas de difficultés chez un agriculteur. Elles sont aussi les deux principales causes qui vont motiver l’appel à une aide à l’extérieur.
Dans un rapport d’étude (1) mené auprès d’une dizaine d’agriculteurs accompagnés par l’association Solidarité Paysans, Philippe Spoljar, psychologue clinicien et enseignant chercheur à l’Université de Picardie, veut insister toutefois sur la complexité des problématiques paysannes. Chaque situation de mal-être s’avère en effet bien plus difficile à saisir qu’elle en a l’air. Si les difficultés financières se révèlent ainsi « les plus visibles, parfois les plus urgentes » et constituent le point d’entrée dans l’accompagnement, « cet endettement est toujours en interaction avec d’autres types de difficultés […] de telle sorte qu’une approche uniquement financière de résolution du problème est toujours insuffisante ».
Perte de contrôle
Parmi les principales autres causes de la descente aux enfers, la perte d’autonomie est spontanément évoquée par les agriculteurs interrogés au regard des difficultés financières qu’ils affrontent. « Le vécu d’impuissance face à l’endettement et aux exigences de la profession est un élément central de leurs témoignages, ils expriment le sentiment de ne plus avoir le contrôle sur leur exploitation et leur futur. Ils se décrivent comme dépendants des créanciers et plus globalement de la société », décrit Philippe Spoljar.
La continuité de leur exploitation, et donc de leur activité, leur apparaît très incertaine. « Leur pouvoir décisionnel s’amenuisant, ils se retrouvent prisonniers de situations professionnelles devenues précaires en dépit des efforts fournis, source de frustration et de détresse ». Le travail, face au surendettement et à la fatigue, devient alors « immobile » : travailler pour ne rien gagner, enchaîner des journées avec une haute intensité sans que l’agriculteur puisse « voir le jour ». L’illustration la plus criante de cette perte d’autonomie économique, et donc décisionnelle, est « celle de la souffrance des éleveurs bovins laitiers face à la dégradation du soin, par manque de moyens financiers, apporté aux bêtes auxquelles ils sont fortement attachés ».
Retrouver son pouvoir d’agir
Le recouvrement de l’autonomie advient non pas avec une « meilleure adaptation » aux exigences et contraintes, poursuit le spécialiste, mais avec « une extension du pouvoir d’agir sur le milieu de travail et sur soi-même » qui seul peut amener à un retour de la confiance en soi.
Les modalités d’intervention ne doivent pas en conséquence se réduire « au seul effacement de ce qui a « fait symptôme », qu’il s’agisse de conflits, de choix agronomiques, ou même de dettes. Il ne s’agit pas d’une reconstruction à l’identique de la situation antérieure et de la restauration d’une viabilité perdue, mais plutôt un recouvrement de certaines capacités personnelles et professionnelles, parfois même une ouverture à des potentialités créatrices de la part des exploitants aidés ».
Avec un accompagnement adapté
Philippe Spoljar promeut ainsi une approche « centrée sur la personne », et non sur des considérations plus techniciennes. Cette démarche incite à favoriser les conditions dans lesquelles les exploitants pourraient être mieux à même de manifester la demande d’une telle intervention. D’où « une appréciation très mitigée de la proposition de développer des réseaux de détection précoce et des systèmes de “sentinelles” », qui figurent parmi les priorités de la feuille de route gouvernement en cours de déploiement.
« L’intention motivant de tels dispositifs est assurément louable, mais leurs effets collatéraux de désignation auprès des créanciers et des autres professionnels pourraient être nuisibles. Il serait donc sans doute plus judicieux de faciliter l’accès des agriculteurs à l’expression de leurs difficultés, d’aller dans le sens de réponses tout à la fois globales et singularisées ».
Pour le psychologue, il apparaît donc souhaitable de « soutenir, renforcer et élargir le soutien aux dispositifs institutionnels et associatifs déjà existants, plus ou moins connus, mais souvent appréciés du milieu agricole, et s’engager sur les moyens d’une promotion de tous les espaces de réflexion et d’échanges sur le sens du métier ».
Car même difficile à saisir, une situation de mal-être n’en reste pas moins solutionnable avec un accompagnement adapté.
(1) Le rapport d’étude a été présenté, à la fin de mars, par Philippe Spoljar lors de l’assemblée générale de Solidarité Paysans Vendée.
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